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Témoignage | Comment une Coop Santé a assuré la survie d’un village

Publiée le mercredi, 4 mai 2022

Une Coop Santé pour sauver un village: l'impact transformateur de la force du collectif

Il y a 2-3 semaines, David Miljour (DG du Pôle Agglo) m’a demandé : « Josée, accepterais-tu d’écrire un texte sur l’économie sociale et de venir le lire à l’événement du 11 avril? » Mon premier réflexe a été de me dire : pourquoi moi? Puis surtout, qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter sur le sujet? Je m’apprêtais à demander des précisions quand David, dans sa grande générosité, m’a dit : « j’te laisse carte blanche! » Génial… non seulement je ne savais pas trop de quoi vous entretenir, mais clairement, c’était pas David qui allait m’aiguiller!

Ensuite j’ai réfléchi… je voulais trouver mon plus lointain souvenir concernant l’économie sociale. Je vous amène donc, avec moi, en 1994…

Je suis adolescente, j’habite un p’tit village d’environ 3800 habitants nommé St-Étienne-des-Grès en Mauricie. C’est l’année où je m’apprête à quitter pour étudier au Saguenay en art et technologie des médias. Je n’en suis pas vraiment consciente, mais dans mon village, les choses ne vont pas très bien. La population est vieillissante, les jeunes, comme moi, quittent le village pour étudier ou travailler dans les villes voisines.

À St-Étienne, il n’y a pas grand-chose d’excitant pour un jeune de 17 ans. Pas de cinéma, pas de centre d’achats, même pas de pharmacie. Y a même plus de médecin… D’ailleurs, ça commence à inquiéter la population. Depuis 2 ans, on a plus de docteur dans la municipalité.  Une pétition commence à circuler, près de 1000 personnes la signent pour demander le retour d’un médecin au village.

Les gens du milieu se sont mobilisés, autant la classe politique que les gens d’affaires et la population. On a eu l’idée de fonder la première coopérative santé dans la province. Ne pensez pas que ça a été simple! Même les lois n’étaient pas de notre bord! Mais les Stéphanois et Stéphanoises y croyaient, à leur projet de coop santé. Parce qu’il répondait à un besoin concret, propre à leur p’tit coin de pays.

À l’époque, le projet était évalué à 800 000$, c’était ambitieux. On a fait une campagne de financement au village. L’objectif était d’amasser 100 000$. 125 personnes y ont cru et sont devenues membres de la coop à ce moment-là. Du nombre, il y avait mon papa.

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Construire une bâtisse c’est bien, mais il fallait aussi attirer un médecin. Vous avez déjà vu le film la grande séduction? St-Étienne-des-Grès, Sainte-Marie-la-Mauderne : même combat! Vous n’avez pas idée des démarches qui ont été entreprises. Le maire écrivait même aux facultés de médecine pour recruter. C’est tout dire!

Les efforts ont porté fruit. Un médecin s’est engagé à venir. Puis un deuxième, et une troisième. 27 ans plus tard, ces 3 professionnels desservent toujours la population de mon village natal. Mais ils ne sont pas seuls : la clinique compte aujourd’hui 12 médecins, des infirmières praticiennes spécialisées, des infirmières cliniciennes, des travailleuses sociales et 15 000 usagers. La coop abrite aussi une pharmacie, des cabinets de dentistes, une clinique dermatologique, un psychologue et des services d’ostéopathie et de prise de sang.

Avec les années, l’idée a fait boule de neige. Des coopératives solidaires de santé, il y en a maintenant près de 50 dans la province. Et la toute première d’entre elles, la coopérative solidaire de santé Les grès compte près de 4000 membres, dans un village de 4500 habitants. Elle est une fierté locale en plus d’être d’un incitatif majeur pour revitaliser le village. Dans les dernières années, beaucoup de jeunes familles se sont installées à St-Étienne. Il y a même de nouveaux quartiers résidentiels qui ont vu le jour. La coop n’est pas étrangère à cette popularité-là.

Quand je retourne dans mon village et que je vois des ados traîner dans les allées de la pharmacie, je souris. En fait, je suis un peu jalouse. J’aurais aimé ça, moi aussi, avoir une pharmacie au village quand j’étais jeune. J’aime ça retourner à St-Étienne-des-Grès. Mes deux parents y vivent encore. Tout comme ma grand-mère qui a dernièrement célébré ses 90 ans. Et si mes parents et ma grand-mère habitent toujours St-Étienne, c’est entre autres grâce à la proximité et à l’accessibilité des soins de santé. Tout ça est rendu possible grâce à la coopérative créée par les citoyens.

La Coop Santé Les Grès (maintenant Clinique médicale Les Grès) a ouvert ses portes le 4 décembre 1995, de la volonté d’un groupe de citoyens de St-Étienne-des-Grès de voir revenir des médecins dans leur village.

Alors mon cher David, admettons que tu me demandes d’écrire un texte sur l’économie sociale, c’est de ça dont je te parlerais. De la fierté que je ressens à l’idée que mon père ait cru à cette idée visionnaire de coop santé, un modèle inexistant à l’époque. De la reconnaissance que j’ai envers tous les citoyens qui se sont mobilisés pour prendre en main leur santé et celle de leurs concitoyens. Des bienfaits qui découlent, encore aujourd’hui, de cette prise en charge citoyenne.

Pour moi, l’économie sociale, c’est ça. La chance de retourner dans mon patelin et d’y trouver des parents en bonne santé. 

Alors maintenant, imaginez les retombées possibles si on encourage tous l’économie sociale, ici, aujourd’hui. Ça pourrait produire des résultats similaires dans 30 ans. Pour nos enfants. Et c’est ce que je nous souhaite collectivement.

 

Josée Bournival est auteure, animatrice et chroniqueuse.

Elle a livré ce témoignage lors du dévoilement de la nouvelle identité visuelle du Pôle Agglo devant un public composé d’entreprises d’économie sociale, d’élus régionaux et de membres de l’écosystème de soutien.

Josée Bournival